LE 16 novembre 2022, les États-Unis réussissent à tirer la mission Artémis 1 à bord du lanceur lourd SLS (Space Launch System) depuis le Centre spatial Kennedy en Floride, après plusieurs reports d’abord dûs à des problèmes techniques, puis à des passages d’ouragans. Cette mission, qui sert de vol de qualification pour le lanceur SLS et pour la capsule Orion, mais qui marque également le grand départ du programme américain Artémis, devrait revenir sur Terre le 11 décembre 2022.
Les débuts de l’exploration lunaire : la Course à la Lune entre les États-Unis et l’URSS (1959-1975)
Cinquante ans après la dernière mission du programme Apollo, le tir d’Artémis 1 marque un véritable événement historique : il s’agit en effet du point de départ d’un programme dont l’objectif est de renvoyer des astronautes sur la Lune (1), et à terme, d’y maintenir une présence continue. Avec ce tir, les États-Unis recouvrent leurs ambitions d’une exploration habitée de la Lune, abandonnées au début des années 1970 à cause d’un changement notoire dans les priorités américaines. Washington D.C., qui s’était lancé à la fin des années 1950 dans une Course à l’espace effrénée face à une URSS qui avait alors déjà réussi à maintenir un satellite en orbite (2) et à envoyer un être vivant dans l’espace (3), a en effet dû ralentir ses activités spatiales en raison de la guerre qui s’enlise alors au Vietnam, mais aussi à cause de la lutte contre la pauvreté menée par le président L. B. Johnson, et ce malgré le succès du programme Apollo. Même si l’État américain n’a par la suite jamais vraiment abandonné ses ambitions spatiales, la compétition s’essoufflant avec une Union soviétique surendettée et qui n’arrive plus à suivre le rythme lors de la « Perestroïka » (1985-1991), les vols habités vers la Lune, très coûteux, n’ont alors plus fait l’objet d’une priorité politique et stratégique pour Washington.
La première Course à l’espace, transposant la compétition économique, industrielle et politique entre les États-Unis et l’URSS dans l’espace extra-atmosphérique, a été le point de départ du programme lunaire habité américain Apollo, mais aussi du programme d’exploration Surveyor, pendant américain du programme soviétique Luna. En effet, alors que l’URSS débute relativement tôt son exploration de la Lune (4), couronnée d’ailleurs de plusieurs succès (5), le point d’honneur placé par le président Kennedy sur l’envoi d’un homme vers la Lune (6) a poussé l’agence spatiale américaine, la NASA, à faire de la Lune une priorité pour les activités spatiales américaines. Le programme Surveyor, débuté en 1966, sert d’appui pour le futur programme habité Apollo, notamment pour le choix des sites d’alunissage. Le premier pas de Neil Armstrong sur la Lune lors de la mission Apollo 11 le 21 juillet 1969 marque alors un inversement des rapports de forces dans la Course à l’espace : même si l’Union soviétique est par la suite la première puissance à déployer un robot motorisé sur notre satellite naturel, à effectuer un atterrissage en douceur sur Mars ou encore à maintenir une présence humaine en orbite grâce à sa première station spatiale, Moscou n’a jamais réussi à placer un cosmonaute sur la Lune.
Regain d’intérêt pour l’exploration de la Lune et multiplication des puissances spatiales depuis les années 1990
La mission soviétique Luna 24 en 1976 et la mission américaine Apollo 17 en 1972 marquent la fin de la Course à la Lune entre les deux super-puissances de la Guerre froide. Pendant près de vingt ans, aucun État doté de capacités de lancement ne s’intéresse à la Lune dans le but d’y envoyer une nouvelle mission d’exploration. Le regain d’intérêt pour cet astre ne s’effectue qu’au début des années 1990. En janvier 1990, le Japon place son orbiteur Hagoromo en orbite lunaire depuis le vaisseau Hiten à l’aide de son lanceur de fabrication nationale Mu-3S-II. Quatre ans plus tard, les États-Unis lancent à leur tour un orbiteur vers la Lune, Clementine, puis un deuxième en 1998, le LPO (Lunar Prospecter Orbiter).
L’exploration en orbite lunaire s’accélère ensuite dans les années 2000 avec une multiplication des puissances spatiales à envoyer une sonde orbitale autour de la Lune. L’ESA, l’agence spatiale européenne, tire en 2003 SMART-1 pour être placé en orbite lunaire. Puis c’est au tour de la Chine, qui effectue alors un rattrapage phénoménal en terme de cosmonautique, à lancer la première mission de son programme lunaire Chang’e en 2007, dans le but de préparer son premier alunissage qui intervient six ans plus tard en 2013. Il convient de souligner que la Chine réussit en 2019 à réaliser un alunissage sur la face cachée de la Lune : il s’agit alors de la première puissance spatiale à avoir réalisé cet exploit avec la mission Chang’e 4.
Il est par ailleurs également intéressant de noter que la première sonde lunaire entièrement privée, la Manfred Memorial Moon Mission (MMMM), construite par l’entreprise luxembourgeoise LuxSpace, est placée en orbite lunaire en 2014 : nous pouvons ainsi voir les premiers succès du New Space (7) dans l’aventure lunaire dès cette date (8).
Un nouvel État devrait également rejoindre le cercle des puissances spatiales ayant placé une sonde en orbite lunaire : la Corée du Sud a enfin lancé sa sonde Danuri en août 2022 (9) depuis le lanceur privé Falcon 9, elle devrait entrer en orbite au mois de décembre 2022.
Une nouvelle Course à la Lune entre deux pôles de coopération internationale : cap sur le Pôle sud lunaire (décennie 2020)
C’est donc dans un contexte de regain d’intérêt pour notre satellite naturel que le président D. Trump annonce en 2019 le retour d’astronautes américains sur la Lune pour l’année 2024, alors que la NASA avait envisagé un retour sur l’astre vers 2028 lorsqu’elle énonçait ses plans pour une station en orbite lunaire, la Deep Space Gateway (qui devient Lunar Gateway dans le cadre du programme Artémis), qui succèderait à une Station spatiale internationale vieillissante (10). D’autres puissances spatiales ayant officiellement verbalisé leurs ambitions de vols habités vers la Lune, telles que la Russie, la Chine ou encore l’Europe (11), les États-Unis sont les premiers à (re)lancer concrètement un programme habité d’exploration lunaire en dévoilant le programme Artémis en mai 2019. Au sein de ce programme, Washington prévoit non seulement de renvoyer des astronautes sur la Lune, mais aussi de construire, à terme, une base lunaire permanente. Fort de ce programme, l’État américain lance également les Accords Artémis, qui ont pour but de créer un cadre pour l’exploration spatiale mais aussi un cadre de coopération avec d’autres puissances spatiales centrée autour du programme américain.
Cependant, les États-Unis ne sont pas la seule puissance spatiale dotée de capacités de lancement autonomes à vouloir se lancer dans des missions habitées sur la Lune. L’Inde, qui doit lancer dès 2023 sa mission Chandrayaan 3 sur la Lune, prévoit également de placer un vyomonaute dans l’espace d’ici la fin de la décennie et à terme, de placer un homme sur notre satellite naturel. La Chine, qui affiche ses ambitions de placer un taïkonaute sur la surface lunaire depuis 2017, a annoncé en 2020 puis signé l’année d’après un mémorandum avec la Russie pour la construction d’une base lunaire de recherche internationale (ILRS), qui se présente en tous points comme un programme concurrent au programme Artémis pour l’exploration de la Lune. Toutes ces missions, comme les derniers alunissages en date, devraient avoir lieu dans la région du Pôle Sud de l’astre, en raison notamment de la présence de glace, mais aussi de lumière quasi-continue, représentant des ressources nécessaires pour maintenir une présence humaine continue.
Ainsi, compte tenu des relations qui ne cessent de se tendre entre les États-Unis et les États européens d’une part, et la Chine et la Russie d’autre part, les rivalités de pouvoir se transposent également sur la Lune et plus largement dans ce milieu hautement stratégique que représente l’espace extra atmosphérique, avec la mise en place de deux pôles de coopération internationale pour l’exploration spatiale. Le tir d’Artémis 1 lance ainsi une nouvelle Course à la Lune dans un contexte de fortes tensions entre deux pôles qui projettent leur puissance et leur rivalité dans l’espace extra-atmosphérique.
Le programme Artémis souhaite, par son caractère de programme d’exploration spatiale et non seulement d’exploration lunaire, être le cadre de la mise au point de vols habités vers Mars, son objectif final. La quatrième planète de notre système solaire est déjà une destination très prisée, dont la surface et les orbites hébergent déjà des missions américaines, russe, européennes, chinoise, japonaise, indienne, et émiratie. Avec le lancement du programme Artémis, elle devrait donc être le terrain de la prochaine course pour son exploration habitée.
Commentaire rédigé par Blanche Lambert, AB Pictoris. Copyright texte et carte Novembre 2022-AB Pictoris-Lambert-Diploweb.com
(1) Le programme Artémis prévoit d’envoyer la première femme et la première personne de couleur sur la Lune avec la mission Artémis 3 qui devrait avoir lieu en 2025.
(2) La mise en orbite du premier satellite artificiel, Spoutik 1, a été réalisée par l’URSS en 1957.
(3) La chienne soviétique Laïka a été le premier être vivant à être envoyé dans l’espace à bord de Spoutnik 2 en 1957. Elle n’était cependant plus en vie au moment de son retour sur Terre.
(4) La mission Luna 1, tirée en 1959, est la première mission à avoir réussi à envoyer une sonde dans l’espace pour survoler la Lune.
(5) L’URSS, en plus d’avoir été le premier État à avoir envoyé une sonde capable de survoler la Lune, a également été la première puissance spatiale à prendre des clichés de la face cachée de la Lune en 1959 (Luna 3), à effectuer un alunissage en douceur (Luna 9 en 1966), ou encore à placer un satellite en orbite lunaire (Luna 10, 1966).
(6) La mention de l’envoi d’astronautes sur la Lune est faite pour la première fois lors du discours Special Message to the Congress on Urgent National Needs du 25 mai 1961, délivré par le président J. F. Kennedy.
(7) Le New Space, en opposition au Old Space, désigne la nouvelle industrie spatiale qui compte de plus en plus d’acteurs privés, contrairement à l’ancienne industrie qui ne comptait quasiment que des acteurs publics. L’entreprise la plus emblématique du New Space est sûrement SpaceX, qui a par ailleurs permis aux États-Unis de recouvrer leurs capacités de vols habités avec les lanceurs privés Falcon 9 et les capsules Dragon, la NASA ayant du mettre fin au programme de la Space Shuttle qui emportait des astronautes vers la Station spatiale internationale jusqu’en 2011.
(8) Même si cela reste à nuancer, cette sonde a été envoyée depuis un lanceur chinois Longue Marche 3C en même temps que le vaisseau test de la mission Chang’e 5.
(9) Le programme a été lancé en 2014, et le tir aurait dû être réalisé en 2018. Une deuxième phase devrait être lancée en 2025, comprenant un atterrisseur lunaire dans le but de faire un alunissage; la Corée du Sud ferait alors partie du cercle très fermé des puissances ayant réussi à effectuer un alunissage en douceur.
(10) La Station spatiale internationale (ISS), dont l’assemblage a commencé en 1998, est habitée continuellement depuis 2000 et son entretien est très coûteux. Son fonctionnement devait prendre fin dès 2015, mais elle a été prolongée jusqu’à la fin de la décennie 2020. Elle devrait entamer sa descente vers la Terre en 2026 puis se crasher dans le Pacifique en 2031.
(11) L’ESA, l’agence spatiale européenne, regroupe 22 États européens : l’Autriche, la Belgique, la République tchèque, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni. L’ESA utilise le port spatial de Kourou en Guyane française pour tirer ses lanceurs Ariane et Vega, de fabrication européenne.