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L’exercice otanien de dissuasion nucléaire "Steadfast Noon" (17-30 octobre 2022) dans un contexte de fortes tensions et de menace nucléaire russe

Steadfast Noon 2022, un exercice de dissuasion nucléaire otanien sous haute tension. Une co-publication AB Pictoris et Diploweb.com.

La carte et son commentaire sont également disponibles ici, sur le site de Diploweb.com.

Le 17 octobre 2022, l’exercice annuel de dissuasion nucléaire de l’OTAN Steadfast Noon réunissant 14 des 30 États-membres débute en Belgique sur fond de fortes tensions avec la Russie. Cette dernière, possédant par ailleurs le plus grand arsenal nucléaire au monde (1), a en effet brandi plusieurs fois la menace nucléaire dans le cadre de la relance de son invasion à grande échelle de l’Ukraine. L’exercice Steadfast Noon, prévu de longue date, est selon l’OTAN un « exercice de routine » et contribue à garantir l’efficacité de la dissuasion nucléaire de l’Alliance, et, selon un communiqué, n’est pas lié à la guerre qui se déroule en Ukraine. Des vols d’entraînement se dérouleront entre le 17 et le 30 octobre 2022 au dessus de la mer du Nord, entre la Norvège, le Danemark et le Royaume-Uni. Sept notices aux aviateurs (NOTAM) ont été émises par la Russie en Mer de Barents et en Mer de Kara - près de la Nouvelle-Zemble (2), zone d’essais nucléaires russes -, poussant l’Alliance à surveiller toute activité nucléaire de la Russie pendant la durée de l’exercice, qui se déroule donc dans un contexte très tendu. 

La tenue d’un exercice de dissuasion nucléaire otanien en plein conflit sur le sol de l’Europe géographique

L’exercice Steadfast Noon est un exercice annuel organisé en 2022 en Belgique. Il réunit 14 États-membres de l’OTAN - le nom des pays concernés n’est pas connu - dans le but de maintenir la dissuasion nucléaire de l’Alliance, composante majeure de ses capacités de défense et de dissuasion. Comme le rappelle sa politique de dissuasion nucléaire, « tant que les armes nucléaires existent, l’OTAN restera une alliance nucléaire ». Il est cependant nécessaire de souligner ici que malgré l’existence d’un Groupe des plans nucléaires (GPN) au sein de l’Alliance, la France, également puissance nucléaire indépendante et souhaitant maintenir cette indépendance stratégique, n’y participe pas, contrairement au Royaume-Uni. En France, l’armée de l’Air et de l’Espace organise en effet de son côté l’opération Poker pour entraîner ses forces de dissuasion nucléaire quatre fois par an.

L’OTAN compte en effet parmi ses 30 membres trois puissances nucléaires, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Deux d’entre elles sont entièrement indépendantes - les États-Unis et la France - et le Royaume-Uni, compte tenu de ses relations étroites avec Washington (3), n’a pas une autonomie stratégique en matière de nucléaire similaire à la France. Cinq autres États membres de l’Alliance bénéficient du partage nucléaire américain (nuclear sharing) en hébergeant une partie de l’arsenal nucléaire des États-Unis sur leur territoire : il s’agit de l’Allemagne fédérale, de la Belgique, de l’Italie, des Pays-Bas et de la Turquie, qui disposent d’installations pouvant héberger les bombes H américaines B61. Dans le cadre de cet exercice, un ou plusieurs bombardiers B-52 de l’US Air Force participeront aux vols d’entraînement aux côtés d’avions de chasse, de surveillance et de ravitaillement des 14 États participants. Les entraînements se dérouleront, bien évidemment, sans véritable bombe nucléaire. 

La tenue de cet exercice annuel prend une toute autre tournure alors qu’un conflit mené par une autre puissance nucléaire indépendante, la Russie, se déroule sur le sol européen depuis février 2022. Malgré l’installation d’une véritable menace nucléaire émanant de la Russie dans le paysage européen, J. Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, a refusé d’annuler Steadfast Noon car cela renverrait un « très mauvais signal » (4) et qu’il est nécessaire de montrer « un comportement ferme » (5) de l’Alliance face à l’escalade de la guerre en Ukraine (6). Il est cependant nécessaire de rappeler que dans le cadre de l’OTAN, les armes nucléaires n’ont qu’un but défensif. Les États-membres ont par ailleurs décidé lors du sommet extraordinaire du 24 mars 2022 de renforcer et d’améliorer l’état de préparation des forces de dissuasion de l’Alliance à la suite de la relance de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie un mois plus tôt. 

Avertissements NOTAM (notice aux aviateurs) et déplacement de bombardiers russes à longue portée : une démonstration de force

  La relance de cette invasion le 24 février 2022, huit ans après l’annexion de la Crimée et l’auto-proclamation des « Républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk, a largement provoqué le retour de la peur d’une guerre nucléaire sur le sol de l’Europe géographique. Alors que le conflit ne cesse d’escalader en près de huit mois d’offensive, le président russe V. Poutine évoquait le 21 septembre 2022, lors de son discours annonçant la mobilisation partielle (7) en Russie, que Moscou n’hésiterait pas à « utiliser tous les moyens » à sa disposition pour défendre « l’intégrité territoriale » (8) du pays, et qu’il ne s’agit pas d’un « bluff ». Cette menace, pour le président russe, est légitimée par les « déclarations […] des principaux États de l’OTAN sur la faisabilité […] de l’usage de l’arme nucléaire contre la Russie » (9).

Outre les paroles de V. Poutine, la montée de la menace nucléaire de la part de la Russie s’est d’abord manifestée avec l’ordre du président russe de placer les forces stratégiques dans un mode « de combat spécial » dès le premier jour de l’offensive. Plus tard, début mai 2022, Moscou a procédé depuis son enclave de Kaliningrad à des tirs de missiles balistiques Iskander - pouvant porter des têtes nucléaires - lors d’exercices militaires. C’est aussi dans le cadre de cette escalade qu’il faut observer le déplacement en août et septembre 2022 de bombardiers Tu-95MS (10) et Tu-160 près de la frontière russo-finlandaise vers la base aérienne d’Olenegorsk (ou d’Olenia), base spécifique à l’aviation russe à long rayon d’action (ALRA). Cette action peut largement être vue comme un « signal » (11) à destination de l’OTAN. Néanmoins, il peut également s’agir d’un signal vis-à-vis de l’Arctique, qui joue un rôle majeur dans la dissuasion nucléaire russe, et qui représente aussi un espace empreint de tensions entre la Russie et certains membres de l’OTAN (États-Unis, Canada, Norvège, Danemark). 

L’annonce de sept notices aux aviateurs (NOTAM), dont plusieurs très inhabituelles pour les activités de la marine russe, notamment au sud-est de la Mer de Kara et deux autres au large de la Nouvelle-Zemble, mérite d’être étudiée en lien avec la tenue d’un exercice de dissuasion nucléaire de l’OTAN au dessus de la mer du Nord. Soulignons cependant qu’un de ces NOTAM pourrait s’expliquer par les retombées du tir du lanceur Angara transportant le vaisseau spatial militaire russe Kosmos-2560 depuis le cosmodrome de Plessetsk le 14 octobre 2022 (12). D’autres NOTAM ont été émises au dessus de zones terrestres de la péninsule de Kola en Russie, qui sont généralement des espaces utilisés pour des entraînements d’artillerie, mais qui représentent aussi des zones d’impact habituelles de missiles de croisière lors d’entraînements de l’armée russe. 

Conclusion

Ainsi, l’annonce de plusieurs NOTAM par la Russie au-dessus de zones maritimes proches du périmètre de l’exercice otanien Steadfast Noon, en plus du déplacement de certains bombardiers dans les deux mois précédant la tenue de cet exercice, est intéressant. Bien qu’il paraisse un peu alarmiste de supposer que Moscou pourrait procéder à des essais nucléaires lors de la tenue d’un tel exercice par une alliance militaire contre laquelle elle semble avoir déclaré une véritable guerre (13), il est possible d’envisager ces actions comme une réelle démonstration de force dans un contexte déjà très tendu entre la Russie et l’OTAN. 

Cette démonstration de force pourrait d’ailleurs se transformer en un deuxième exercice de dissuasion nucléaire russe pour l’année 2022, un exercice Grom s’étant déjà tenu en février de la même année quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine et lors duquel un nouveau tir d’essai du missile hypersonique Zircon (ou Tsirkon) (14), pouvant porter des têtes nucléaires, a été réalisé. En effet, ces exercices du côté russe se déroulent habituellement à la fin du mois d’octobre. Affaire à suivre donc…


Copyright 2022 octobre-Lambert-AB Pictoris / Diploweb.com


(1) Selon la FAS (Federation of American Scientists), la Russie posséderait 5977 ogives nucléaires en 2022, quand les États-Unis en détiendraient 5428. Les deux États détiennent à eux deux 90% des armes nucléaires mondiales. NDLR : Voir aussi le SIPRI. 

(2) Ou Novaya Zemlya 

(3) Trois textes majeurs encadrent les relations du Royaume-Uni et des Etats-Unis en matière nucléaire. Tout d’abord, la rencontre de Mc Millan et de D. Eisenhower aux Bermudes en mars 1957 donne naissance au projet de dissuasion nucléaire Emily qui a permis le déploiement de missiles balistiques à portée intermédiaires américains sur le sol britannique entre 1959 et 1963. Ensuite, l’Accord de défense mutuelle entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni de 1958 permet notamment aux deux États d’échanger des technologies nucléaires et ouvre la voie au programme nucléaire britannique Trident s’appuyant fortement sur une coopération avec les États-Unis. Enfin, l’Accord de Nassau de 1962 permet au Royaume-Uni de bénéficier de missiles américains Polaris, en échange de quoi Londres abandonne finalement sa force de dissuasion autonome.

(4) Déclaration de J. Stoltenberg lors d’une conférence de presse le 11 octobre 2022

(5) Idem

(6) L’escalade, du côté russe, comprend notamment la mobilisation de 300 000 réservistes, la tenue de « référendums » et l’annexion des régions ukrainiennes de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson (ainsi que deux districts de la région de Mikolaïv). La reprise depuis début octobre 2022 d’une campagne de bombardement massive visant cette fois les infrastructures énergétiques ukrainiennes en fait également partie.

(7) Mobilisation concernant 300 000 réservistes russes. 

(8) V. Poutine, discours du 21 septembre 2022. 

(9) Idem

(10) Le Tu-95 est le bombardier ayant procédé au largage de la Tsar Bomba. 

(11) Thomas Nilsen, « Russia steps up military posturing in the Arctic ahead of NATO’s nuclear drill », The Barents Observer, octobre 2022. 

(12) Il s’agit de la zone au nord-est de Bear Island, où le NOTAM couvre une période allant du 14 au 17 octobre 2022 (voir carte). 

(13) Le discours de V. Poutine du 30 septembre 2022 sur l’annexion des quatre régions ukrainiennes de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia est très intéressant, dans le sens où l’Ukraine, pourtant contre qui a été lancée ce que la Russie nomme son « opération militaire spéciale », n’est citée que 5 fois dans ce discours, contre 12 mentions des États-Unis. La lecture en français de ce discours est possible grâce à la traduction du Grand Continent, disponible ici.

(14) Pour en savoir plus sur ce missile hypersonique pouvant supposément évoluer à une vitesse maximale de Mach 9, voir la note du CESA n°344 (disponible ici). L’arrivée de ce type de capacités hypersoniques devient aussi un nouvel enjeu de puissance et engendre une réelle course aux armements hypersoniques qui se met peu à peu en place notamment entre les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, l’Inde, le Japon et l’Australie. Ce nouveau tir d’essai du Zircon russe rentre ainsi entièrement dans le cadre d’une démonstration de force.
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